dimanche 16 novembre 2025

Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers

 




XXXIV Dimanche du Temps Ordinaire   Année C

Paolo Cugini

Aujourd’hui s’achève l’année liturgique au cours de laquelle nous avons entendu l’Évangile de Luc, qui raconte le cheminement de Jésus de Nazareth jusqu’à Jérusalem. Un parcours jalonné de surprises et de choix difficiles, de controverses âpres avec les pharisiens et la classe sacerdotale du Second Temple, qui l’ont conduit à la croix. La liturgie de l’Année C conclut l’année par la Solennité du Christ, Roi de l’Univers, en nous offrant une lecture qui relate la grande souffrance et l’humiliation de Jésus sur la croix. Pourquoi ce choix ? Que veut-il nous dire ?

À ce moment-là, [après avoir crucifié Jésus,] le peuple restait là à regarder ; mais les chefs se moquaient de Jésus.

La vie de Jésus fut emplie d’amour, d’attention portée à tous ceux qu’il rencontrait sur sa route, particulièrement aux plus pauvres. Il a connu beaucoup de personnes et a consacré sa vie à faire le bien. Pourtant, dans les derniers instants de sa vie, Jésus a expérimenté une profonde solitude. Il est arrivé nu sur la croix, moqué, ridiculisé, frappé, humilié et, surtout, abandonné par ses amis, les disciples avec qui il avait partagé les années de sa vie publique. Pourquoi cette solitude ? Que signifie-t-elle pour notre chemin de foi ? Les terribles heures qui ont marqué les derniers moments de la vie de Jésus révèlent le cœur de ses disciples, leurs attentes déçues et leur profonde désillusion. La croix de Jésus révèle, d’une manière définitive et dramatique, que Jésus n’est pas le roi politique espéré, capable de vaincre les Romains : il est tout autre chose. Les disciples comprennent, à partir du moment où Jésus est arrêté, que leur cheminement de disciple et leurs attentes ne correspondaient pas à ce que Jésus voulait proposer. Et pourtant, pourrait-on dire, ils l’avaient écouté, ils avaient vu ses œuvres, alors pourquoi cette perplexité ? Pourquoi tant d’incompréhension ? La réalité de la croix a démasqué et mis à nu les fantasmes de gloire des disciples, leurs idéologies. L’attention à la réalité permet un processus de déconstruction des idéologies qui encombrent nos esprits et filtrent la réalité, nous empêchant de la comprendre. Pour les disciples, la croix représentait la mort de leurs idéaux et la possibilité d’une renaissance à une vie nouvelle.

« Il en a sauvé d’autres ! Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu. »

La demande des chefs du peuple à Jésus montre qu’ils ont totalement mal compris son message. La preuve qu’ils exigent pour attester qu’il est le Christ, c’est sa propre sauvegarde. Jésus a démontré exactement le contraire : il a montré être le Christ de Dieu précisément à travers une vie de don total, s’efforçant sans cesse de sauver la vie de ceux qu’il rencontrait. Jésus nous a montré par sa vie que nous sauvons nos vies en les perdant pour ceux que nous aimons, pour ceux que nous croisons. Nous nous enrichissons en nous sacrifiant pour partager avec ceux qui sont dans le besoin. Voilà le grand enseignement humain de Jésus : un amour sans mesure pour tous. Dans cette perspective, il nous faut aussi nous rappeler les paroles que Jésus prononce sur la croix, justement dans la version de Luc que nous lisons aujourd’hui, quand il affirme : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Peut-on imaginer un amour plus grand que celui-ci ? Mourant sur la croix, Jésus ne pense pas à son propre salut, mais à celui de ses bourreaux. Jésus meurt seul sur la croix, mais pleinement conscient de ses choix. Il meurt librement par amour : il a choisi d’aimer jusqu’au bout.

« En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

Jésus meurt entre deux larrons : la mort de l’infamie, confirmant tout son parcours, où il n’a jamais cherché à être quelqu’un, à rechercher la gloire des hommes, mais a toujours été attentif aux plus faibles. Ceux qui décident de consacrer leur vie aux pauvres n’ont pas le temps de penser à leur carrière. Même sur la croix, Jésus reste attentif à ceux qui l’entourent, il les écoute, et même dans ce contexte, il ressort que suivre n’est pas une question de participation massive, mais un choix personnel.

Jésus est le roi de l’univers parce que, par son choix de l’amour authentique, en rejetant la gloire des hommes, il entre dans les veines de l’histoire avec son Esprit d’amour que tous nous pouvons accueillir.

 

lundi 10 novembre 2025

Le Pardon : prophétie d’espérance et de transformation

 




Paolo Cugini

 

« Tu lui pardonneras » (Lc 17,5).

 Telles sont les paroles étranges de Jésus, des déclarations qui provoquaient l’étonnement de ses auditeurs. Des paroles qui secouent, qui renversent la logique commune, qui semblent presque folles aux yeux de ceux qui sont habitués au calcul et à la justice du mérite. Pourtant, c’est précisément dans cette folie que réside la sagesse de Dieu. Le pardon, pour Jésus, n’est pas une simple recommandation mais un impératif absolu : il faut toujours pardonner, sans mesure, sans calcul opportuniste.

Pourquoi le pardon est-il si important pour Jésus ? Cette demande n’est-elle pas en net contraste avec la logique du monde, qui récompense ceux qui travaillent et punit ceux qui se soustraient à leur devoir ? Jésus renverse la perspective : son regard ne s’arrête ni aux apparences ni aux jugements humains. Là où la société voit des paresseux, des cas perdus, des cœurs endurcis et incapables de changer, Jésus aperçoit encore une lueur de vie, une fissure de lumière dans la nuit la plus noire.

Pourquoi faut-il pardonner même face à l’évidence d’un échec définitif ? Peut-être précisément pour cela : parce qu’aux yeux de Jésus rien ni personne n’est perdu pour toujours. Une porte, même à peine entrouverte, peut toujours être franchie. Un cœur, même le plus obstiné, peut être touché à nouveau par la grâce. Dans le pardon réside une confiance extrême en une possibilité qui dépasse tout jugement, toute statistique, toute histoire personnelle marquée par le mal. Dans l’invitation à pardonner toujours, se dévoile l’extrême confiance que Jésus place en l’humanité. « Là où le péché abonde, la grâce surabonde », disait saint Paul. Là où nous avons déjà prononcé un verdict sans appel, Jésus entrevoit encore l’image et la ressemblance de Dieu. Là où pour nous il n’y a qu’un cœur éteint, endurci, incurable, Il voit une étincelle capable de se rallumer.

Le pardon est donc le chemin de l’espérance, la voie qui rouvre des horizons de vie même là où tout semble mort. Voici le sens profond de l’Église : être une communauté qui offre au perdu la possibilité de se retrouver, de recommencer, de faire à nouveau l’expérience de la miséricorde. Sans pardon, l’Église perd son propre cœur, elle se transforme en tribunal, en lieu d’exclusion plutôt que d’accueil.

S’en remettre au pardon et non aux logiques humaines, c’est ouvrir la porte au Mystère révélé dans le Christ, permettre à son Esprit de pénétrer dans les replis les plus sombres de l’humanité pour la transfigurer de l’intérieur. C’est la vie qui souffle là où régnait la mort, l’amour qui refleurit là où la haine et la rancœur ont ravagé le terrain du cœur. Dans cette perspective, le pardon n’est pas faiblesse, mais force créatrice, prophétie d’une humanité toujours recommencée. Pardonner toujours n’est ni facile ni spontané, cela va à l’encontre de la logique de réciprocité sur laquelle repose le monde. Pourtant, c’est justement là que brille la nouveauté de l’Évangile : donner une chance à chacun, toujours, sans jamais se lasser. Jésus, prophète du possible, nous enseigne que tant qu’il y a du pardon, il y a une nouvelle vie.

 

lundi 3 novembre 2025

La théologie des marges

 




Paolo Cugini

 

 

Il existe une théologie qui ne cherche pas la scène, qui ne s’empresse pas d’obtenir des reconnaissances ni ne s’accroche à la rigueur des grands systèmes doctrinaux. C’est la théologie marginale, celle qui naît dans l’ombre, sur les sentiers poussiéreux de l’histoire, là où la vie se mesure au poids des jours et au bruit sourd des échecs quotidiens. Une théologie qui respire l’odeur âcre de l’oubli et se couche là où le monde détourne le regard, convaincu que rien d’important ne peut germer dans ces lieux délaissés.

Pourtant, il y a beaucoup à apprendre sous les ponts, entre les mains tremblantes de ceux qui n’ont pas trouvé refuge, parmi les corps fatigués cherchant un abri dans le vent de la nuit. Des enseignements sont cachés dans la faim qui mord chaque aube, sur ces visages qui affrontent la journée sans la certitude d’un repas. En ces lieux, la présence du Mystère se révèle puissante, comme pour contredire la présomption des grandes chaires. Ici, parmi les ombres des favelas latino-américaines, le Mystère se fait chair au quotidien, il s’insinue entre la lutte pour la vie et les abus des trafiquants de drogue qui décident du destin de générations entières.

Le théologien des marges, celui qui s’arrête pour écouter le silence de ces rues, découvre un visage du Mystère qui échappe aux yeux de ceux qui restent enfermés dans les palais des grands centres théologiques. Il y a quelque chose de prodigieux dans la vie des pauvres, une sagesse qui ne naît pas des livres mais du contact direct avec la souffrance, la solidarité et la résistance quotidienne. C’est ici que l’on expérimente la présence du Mystère de façon viscérale, comme un éclair qui déchire la nuit et éclaire le sens profond de l’existence.

Si vraiment, comme le raconte l’Évangile, Jésus a voulu s’identifier aux derniers, cela signifie que le chemin authentique vers la connaissance du Mystère passe précisément par cette solidarité avec ceux qui vivent aux marges. Vêtements déchirés et sales, chaussures usées, masures en guise de maisons, nourriture manquante, travail inexistant, jeunes privés de toute opportunité, personnes âgées abandonnées : que signifie vivre le Mystère dans de telles conditions ? Où se cache la lumière parmi les fissures de la misère ?

Peut-être est-ce justement ceux qui vivent dans la marginalité qui pressentent le Mystère, car celui-ci se manifeste dans la fragilité, la précarité, dans l’espérance qui subsiste envers et contre tout. Pourtant, en lisant ces mots, les misérables de l’histoire souriraient amèrement et relanceraient la question : comment ceux qui habitent dans de somptueux palais, avec des portefeuilles bien garnis, pourraient-ils percevoir le Mystère ? La réponse, ils la connaissent déjà : impossible. Car le Mystère ne se laisse pas capturer par l’abondance ni ne se manifeste dans l’autosuffisance, mais il habite la chair blessée du monde, là où la vie lutte pour ne pas succomber.

Ainsi, la théologie marginale, bien qu’elle reste aux confins, garde un trésor de vérités trop souvent ignorées. Elle nous rappelle que la vraie connaissance ne se conquiert pas d’en haut, mais s’accueille en se penchant, en s’abaissant, en partageant le pain amer de l’existence. Au fond, le Mystère habite là où le cœur se fait prochain, où l’homme devient frère, la femme sœur, où la pauvreté devient matrice de lumière et la marginalité se transforme en lieu de révélation.

samedi 1 novembre 2025

HEUREUX ÊTES-VOUS

 




Paolo Cugini

 

 

Dans le silence de l’aube, lorsque le monde semble encore retenir son souffle avant de plonger dans la course de la journée, résonnent les paroles anciennes et toujours nouvelles de Jésus : « Heureux êtes-vous ». Des paroles qui descendent comme la rosée des hauteurs, portant avec elles une bénédiction qui change le visage des choses. Accueillir cette bénédiction qui vient d’en haut n’est pas seulement un acte de foi, mais une immersion dans une source qui donne un sens positif à la journée, un baume qui transforme la souffrance en espérance.

Les paroles de Jésus ne sont pas de simples sons ; elles sont caresses, elles sont des étreintes invisibles qui se posent sur l’humanité souffrante. Sa voix résonne dans les cœurs blessés, racontant un regard d’amour qui souhaite apaiser les plaies, qui plonge dans la douleur pour apporter du réconfort. En elles se révèle une pensée qui cherche le bien, qui souffre avec ceux qui souffrent, qui veut transmettre vie et paix là où semble régner la désolation.

Heureux êtes-vous. Une affirmation qui ne connaît pas de frontières, car la bénédiction de Jésus naît du souffle de vie initial, ce souffle divin qui traverse les siècles et ne s’arrête pas devant les barrières de l’indifférence et de l’injustice. L’amour niché dans ces paroles vient de loin, d’une source qui ne s’épuise jamais.

Les paroles de bénédiction sont une force pour les faibles, une main tendue pour celui qui est tombé en chemin. Elles sont lumière dans les nuits de la solitude, compagnie sur les sentiers de la pauvreté, espérance dans les déserts de l’exclusion, baume dans le fléau de la marginalisation. Jésus s’approche de celui qui est sur le point de succomber sous le poids des injustices, et prononce un mot qui change tout : Heureux !

Dans ces quelques syllabes se cache une prise de position nette et radicale : le Mystère de la vie pleine et de l’amour vrai révélé en Jésus se tient toujours du côté des exclus, des oubliés, de ceux que le monde abandonne aux marges. C’est comme si, devant les portes closes, le Messie murmurait : « Ne vous sentez pas abandonnés, car moi, le Seigneur de l’histoire, je suis avec vous pour vous relever. »

À vous, frères et sœurs qui vivez dans l’affliction, le Verbe ne dit pas de vous inquiéter. Il promet au contraire d’être toujours à vos côtés, présence silencieuse mais réelle, capable de consoler et de redonner force. Il existe une source d’amour éternel que seul le cœur affligé peut percevoir, car il a été promis par Celui qui ne ment pas : Heureux êtes-vous.

Cette bénédiction n’est pas une fuite devant la douleur, mais le courage de la traverser avec la certitude que quelqu’un marche à vos côtés, que la dignité des plus petits est gardée par un regard divin. Heureux êtes-vous : ce n’est pas seulement un mot, mais une prophétie qui traverse l’aujourd’hui et ouvre les portes à une espérance qui ne déçoit pas. Dans un monde souvent inattentif, l’annonce de Jésus est une révolution silencieuse : le souffle de vie qui ne s’avoue jamais vaincu, qui relève, qui apporte une lumière nouvelle. Et quiconque se sent pauvre, exclu, affligé, peut se laisser toucher par cette bénédiction venue d’en haut, l’accueillir comme un don qui transforme la nuit en jour, car heureux êtes-vous est le chant de celui qui sait voir au-delà des larmes, au-delà des injustices, au-delà du temps.

Que chaque cœur oppressé puisse ressentir aujourd’hui la caresse de ces paroles, car la sérénité s’appelle bénédiction, s’appelle amour, s’appelle vie qui ne meurt pas.

jeudi 23 octobre 2025

RÉFLÉCHIR AU NOUVEAU PARADIGME

 



Paolo Cugini

 

 

Depuis des décennies, on parle de culture postmoderne et d'un monde en mutation. De nombreux secteurs de la culture sont définis par le préfixe « post ». On perçoit un monde dont on s'éloigne hâtivement, avec l'envie de le laisser derrière soi. Les nouvelles générations naissent sans grande envie de connaître le passé, immergées dans l'ici et maintenant, mais surtout dans les mondes parallèles offerts par les nouvelles technologies. Comprendre notre monde est un point de départ important pour apprendre à l'habiter consciemment. Ce niveau essentiel de compréhension de la réalité n'est pas simple. Un aspect qui différencie précisément le nouveau contexte culturel de l'ancien est précisément ce fait. Nous sommes entrés dans un monde si complexe qu'il est difficile à résumer. À l'inverse, le monde moderne était caractérisé par un paradigme simple. Tout, en réalité, était réduit au sujet, à la capacité de décrire chaque aspect de la connaissance et de la compréhension de manière rationnelle et intelligible. Il existait des points fixes dans la modernité qui rendaient le débat culturel possible et compréhensible, car les variations en jeu étaient connues de tous. Au-delà de cela, la vie quotidienne était rythmée par des rythmes réguliers, où la religion, la politique, la justice et la morale avaient leur propre espace reconnu par les autres forces en jeu. Tout semblait harmonieux.

Pourtant, malgré les apparences, tout s'est effondré. La crise écologique, de plus en plus manifeste et inquiétante par les signes de non-retour qu'elle montre, est visible de tous. La crise économique mondiale actuelle est un signe clair que le système économique développé par la modernité n'était pas si efficace. La crise politique des démocraties, qui peinent à absorber les disparités constantes entre les classes sociales et l'augmentation de la pauvreté, provoque le retour des mouvements d'extrême droite dans le monde entier. Que dire de la crise que traverse le christianisme ? La religion qui, pendant des siècles, s'est identifiée au monde occidental, construisant de magnifiques cathédrales, protagoniste de toute forme d'intervention sociale, et créant écoles, universités et hôpitaux, semble avoir atteint son terme. Il semble que la pensée la plus moderne soit en jeu, une pensée qui, en quête de perfection, a souvent oublié d'inclure la réalité et, avec elle, la nature, lorsqu'elle a tenté de systématiser le monde hypothétique en un schéma. À mon avis, c'est cette méthode, et le paradigme qui en résulte, qui sont définitivement entrés en crise. C'est la réalité qui a répondu aux systèmes développés dans la modernité par une invocation sous-jacente : la raison ne peut se permettre d'ignorer la réalité. Il y a donc une rationalité attaquée, car elle est la cause des désastres à tous les niveaux auxquels le monde est confronté aujourd'hui. Le préfixe « post », que l'on retrouve aujourd'hui dans divers domaines culturels, signifie avant tout une nette distanciation par rapport à ce mode de raisonnement qui mène à l'effondrement du cosmos. Ce que l'on pourrait appeler la culture de l'ère post-moderne a donc pour signification profonde la recherche d'une rationalité capable de dialoguer avec la réalité et, surtout, qui ne l'invente pas, créant des mondes dystopiques, irréels et dénués de sens. La culture de l'ère post-moderne est donc confrontée à une tâche majeure : réécrire la trame même de la vie quotidienne. La nouvelle rationalité a le devoir fondamental d'écouter la réalité et, pour cette raison, elle ne peut s'empêcher de s'intéresser à la science, à ce que ceux qui interagissent quotidiennement avec la nature, le cosmos, les micro-organismes et les macro-organismes qu'ils observent, comprennent et analysent. Il s'agit d'un changement de paradigme fondamental, qui exige la volonté d'abandonner définitivement les méthodes qui sont à l'origine de la destruction de la planète et des cultures.

Le changement apporte la nouveauté. C'est particulièrement vrai lorsque nous sommes plongés dans un changement de paradigme, comme c'est notre cas. Un changement de paradigme implique un changement de mentalité, de façon de penser, d'évaluer les choses. Assimiler la nouveauté n'est pas chose aisée, car cela exige d'être prêt à abandonner l'ancien, à considérer comme obsolètes les anciennes façons d'appréhender la réalité. Nous pouvons être convaincus par les preuves accablantes de l'effondrement systématique de l'ancien monde et de la force irrésistible du nouveau qui avance. La tentation de se replier sur soi-même, de faire comme si de rien n'était, de faire l'autruche est vaine. Tôt ou tard, nous devrons composer avec le nouveau, qui avance à une vitesse vertigineuse. Ce sont de nouveaux critères qui entrent en jeu et continuent de l'être en raison de la rapidité des changements en cours. Cette rapidité est l'une des caractéristiques déterminantes du nouveau paradigme culturel en constante évolution. La vitesse signifie, d'une part, la difficulté d'accompagner les changements, et, d'autre part, la grande capacité d'adaptation aux nouvelles situations qui se présentent. Nous sommes ainsi passés d'un mode de vie fondé sur des valeurs apparemment éternelles à une manière d'être au monde dépendante des événements du présent. La rapidité de ces changements en cours attire l'attention sur le besoin de rationalité. Habitués dans la modernité à des temps lents, en quelque sorte éternels, au sens où les repères culturels sont immuables, il devient difficile de s'adapter au nouveau rythme du changement.

On pourrait se demander si, pour être pertinent, il est nécessaire de pouvoir exploiter tout ce que le nouveau cadre culturel offre. En fin de compte, de quoi dépend l'identité personnelle ? La réponse à cette simple question révèle déjà l'ampleur du changement en cours. En effet, si l'on affirme que l'identité d'une personne, sa place dans la société, et donc sa valeur, dépendent d'un référentiel idéal de valeurs qui guident la vie commune, on se place immédiatement dans le domaine du « pré », de ce qui était et n'est plus. Une caractéristique de ce que nous vivons est l'inutilité totale des critères absolus qui ont guidé le monde occidental pendant des siècles. La quête de fondement, caractéristique de la métaphysique classique – une quête importante non seulement dans le monde philosophique mais aussi religieux – n'est plus un besoin ressenti par les nouvelles générations. Ce qui importe aujourd'hui et ce qui donne de la valeur à l'identité personnelle, c'est l'image, la visibilité. Qui est visible est pertinent. De plus en plus, les décisions, personnelles et collectives, se fondent sur les opinions relayées sur les plateformes médiatiques. L'opinion des autres compte. Qu'il s'agisse d'une masse manipulée est une toute autre question. Entrer dans ce monde signifie apprendre à naviguer dans les faiblesses d’un processus de pensée qui ne recherche pas la profondeur, mais seulement la persuasion. 

Pour ceux qui ont une formation philosophique et religieuse, le contexte culturel actuel est inquiétant. Une culture fondée sur l'image est fragile et faible, et pousse à des changements constants et infondés. Même la raison devient un outil non pas pour guider des choix cohérents, mais pour servir une logique de persuasion qui ne crée aucun avenir, mais seulement la capacité d'habiter des mondes différents, parfois simultanément. 

 

jeudi 16 octobre 2025

Malheur à vous !

 


 

 

 Paolo Cugini

Malheur à vous, docteurs de la Loi, vous qui avez enlevé la clé de la connaissance ; vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et vous avez empêché d’entrer ceux qui le voulaient (Lc 11,52).

Il existe un style prophétique qui traverse les générations, un vent qui refuse d’être emprisonné entre les murs des temples, mais qui souffle puissamment sur les routes du monde. C’est la voix qui n’a pas peur de dénoncer les méfaits de ceux qui détiennent le pouvoir, qui secoue les consciences et appelle à la vérité. Voilà le cœur battant de l’Évangile : il ne ferme pas les fidèles dans des espaces étroits, mais les pousse au-delà, là où la douleur et l’espérance se rencontrent, où la justice réclame sa place parmi les hommes et les femmes.

L’Évangile nous enseigne que le mal se répand non seulement par l’action des méchants, mais aussi par le silence de ceux qui professent une religion vide, une pratique destinée uniquement à obtenir des avantages personnels, spirituels ou matériels. De telles religions, le monde n’en a pas besoin, avertit le prophète, car elles alimentent les sentiments les plus bas de l’humanité : égoïsme, revanche, envie, jalousie. Ce sont des religions qui construisent des murs au lieu de ponts, qui divisent au lieu d’unir. Mais le message de Jésus est tout autre : il annonce le Royaume de Dieu, un fragment d’humanité renouvelée où la soif de justice, l’amour des pauvres, l’attention envers les exclus et le désir de construire des ponts de paix animent chaque relation.

Le prophète ne se tait pas devant les maux du monde. L’esprit prophétique, qui souffle sur la communauté des fidèles, réveille les consciences, rend la voix forte et claire face à l’hypocrisie de ceux qui abusent de leur pouvoir, ne cherchant que leur propre intérêt. « Malheur à vous ! » dit Jésus à ceux qui, sans scrupule, ont choisi la voie du mal. L’Église prophétique n’est pas une spectatrice muette ; elle accuse, dénonce, secoue. Elle devient signe du Ressuscité, de la vie qui ne meurt jamais, exemple vivant d’une justice qui ne se laisse pas corrompre et d’une espérance qui ne s’éteint pas.

Il est temps d’ouvrir les portes, de sortir des sécurités et d’apporter la lumière de l’Évangile là où l’ombre semble l’emporter. Le prophète marche en tête, dans la poussière des chemins, offrant des paroles qui sont des semences de changement, affrontant le vent contraire avec la force de l’amour et la certitude que le Royaume de Dieu est proche, prêt à germer parmi ceux qui choisissent la voie de la justice, de la miséricorde et de la vérité. Que chacun, sur son propre chemin, puisse être une voix prophétique, un pont de paix, un signe d’une humanité nouvelle.

samedi 20 septembre 2025

La graine semée

 




Réflexion sur la parabole du semeur et la métaphore de la croissance

Paolo Cugini

 

Dans la parabole du semeur (Lc 8,5s), Jésus raconte l’histoire d’un homme qui sort pour semer : quelques graines tombent le long du chemin, d’autres sur un terrain rocheux, d’autres encore parmi les épines, et enfin quelques-unes sur la bonne terre, où elles portent du fruit. Cette image, si simple et immédiate, recèle une force expressive qui traverse les siècles, renouvelant à chaque fois sa signification. La graine n’est pas seulement une petite réalité biologique : elle est une promesse, un symbole de potentiel, d’attente et de transformation. La parabole nous invite à regarder au-delà des apparences, à discerner dans la vie même la possibilité de germer et de croître, même lorsque les conditions semblent défavorables.

Dans la graine, la pédagogie trouve une métaphore puissante. Elle représente la phase initiale de tout parcours : l’enfance d’un projet, la pensée qui surgit dans l’esprit, le désir qui prend forme. Pédagogiquement, la graine est la confiance dans l’avenir, l’investissement dans l’éducation, le soin de ce que l’on ne voit pas encore mais qui peut devenir grand. Esthétiquement, la graine est une beauté cachée, une promesse silencieuse, une attente qui se réalise avec le temps. L’image de la graine nous rappelle que toute croissance commence par ce qui est petit et invisible, et que la véritable richesse réside dans la capacité à reconnaître la valeur de ce qui n’est pas encore accompli. Chaque graine contient en elle la potentialité de devenir quelque chose d’unique. Cependant, son développement dépend de multiples facteurs : le sol, le climat, les soins reçus. Le processus de croissance n’est jamais linéaire ; il connaît des moments d’attente, de difficulté, de lutte contre l’adversité. Ce n’est que lorsqu’elle trouve des conditions favorables que la graine peut germer et croître, donnant naissance à une plante qui, à son tour, produira du fruit. Cette dynamique reflète notre propre croissance personnelle : nous portons en nous des graines de talent, de rêves, de désirs, mais c’est seulement à travers le temps, la patience et le courage d’affronter les défis que nous pouvons arriver à la maturation. Le chemin vers la maturité exige d’accueillir la vulnérabilité, de ne pas craindre les obstacles, de rester fidèle au parcours initié.

La parabole souligne le rôle du terrain : toutes les graines ne portent pas du fruit, car tous les terrains ne sont pas adaptés. Le terrain symbolise le contexte, la disponibilité à recevoir, la capacité à accueillir la nouveauté. Le soin devient donc central : le semeur est appelé à aimer son travail, à ne pas se décourager face aux échecs, à préparer patiemment le terrain pour que la graine puisse se développer. Cette image se reflète dans notre vie : chaque relation, chaque projet, chaque sentiment a besoin de temps, d’attention, de respect des rythmes naturels. « On ne peut récolter là où on n’a pas semé », dit un vieux proverbe italien : le fruit de la croissance dépend de la dévotion et de la sollicitude que l’on est prêt à offrir.

Être gardien des graines signifie assumer la responsabilité de la croissance, de la maturation, de la fidélité aux promesses qu’elles renferment. Chaque graine qui germe est une réponse à un appel, un témoignage d’un soin reçu. Le chemin vers la fructification est marqué par des choix conscients, par la capacité à soutenir ce qui est fragile, à protéger ce qui est faible et à l’accompagner jusqu’à ce qu’il devienne fort. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut voir le miracle de la transformation : ce qui était invisible se manifeste, ce qui était potentiel se réalise. La maturité n’est pas seulement l’atteinte d’un objectif, mais le processus même d’être fidèle à son propre développement, de rester ouvert au changement, de cultiver l’espérance même dans les moments difficiles.

La parabole du semeur et la métaphore de la graine nous invitent à nous regarder avec des yeux neufs : quelles graines cultivons-nous dans notre vie ? Quels terrains préparons-nous ? Sommes-nous capables de reconnaître la beauté de la croissance, même lorsqu’elle est lente et silencieuse ? Prendre soin d’une graine signifie croire en quelque chose que l’on ne voit pas encore, apprendre que la patience est la mesure de la responsabilité et que la maturation est le fruit d’une fidélité quotidienne. En chacun de nous vit la force d’une graine : la possibilité de transformer le petit en grand, le silence en parole, l’espérance en réalité. L’invitation est de devenir des semeurs conscients, des gardiens attentifs et des artistes de la croissance, pour donner à notre vie et à celle des autres la possibilité de s’épanouir.

 

Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers

  XXXIV Dimanche du Temps Ordinaire   Année C Paolo Cugini Aujourd’hui s’achève l’année liturgique au cours de laquelle nous avons entendu l...