mardi 18 novembre 2025

La Liberté qui dévoile

 




Une invitation de l'Esprit à se laisser traverser par la liberté du Christ

Paolo Cugini

 

Voyant cela, tous murmuraient : « Il est entré chez un pécheur ! » (Lc 19,7).

Ainsi parle l’Esprit : Lis l’Évangile, homme, et tu seras frappé par la grande liberté de Celui qui a marché sur les routes de Galilée et de Judée. Il ne s’arrête pas aux apparences, ne se plie pas au vent de la mentalité ambiante, ne se laisse pas enfermer par les jugements des autres. Jésus fait le bien toujours et en toute circonstance, comme le soleil qui brille sur les justes et les injustes. Sa liberté est comme une eau qui rompt les digues de la convention et se répand là où le cœur est assoiffé.

Sur le chemin du Christ, la liberté devient un signe bouleversant : elle brise les schémas et défait les chaînes des habitudes. Ce n’est pas la liberté apparente de celui qui s’adapte au vent de la pensée dominante, ni celle de celui qui s’illusionne d’être maître de soi tout en restant prisonnier de l’opinion des autres. Jésus est libre jusque dans la racine la plus profonde de l’être : sa liberté ne divise pas, mais libère ; n’isole pas, mais rapproche. Il franchit les frontières, tel l’eau qui cherche les terres assoiffées, sans craindre d’arroser des terres jugées stériles ou indignes. C’est précisément cette liberté qui scandalise ceux qui vivent d’apparences et rassure ceux qui ont soif d’authenticité. Sachez-le : Jésus sait ce qu’il fait. Il cherche l’homme et la femme en difficulté, il ne se satisfait pas de la foule, mais se penche sur l’unique qui est tombé, sur l’unique qui pleure. Il marche sur les marges, là où la société méritocratique et bien-pensante n’ose regarder, et il appelle à lui ceux qui se sentent exclus, blessés, oubliés. Son agir va à l’encontre des attentes humaines, scandalise les bien-pensants, trouble les gardiens de l’ordre établi. Le murmure du monde est l’écho d’une vie enfermée dans la peur, faite de conventions et de compromis, où la liberté est bradée pour une tranquillité qui sent la mort dans l’âme.

Avec le Christ, la compassion devient un acte concret : elle ne se perd pas dans la masse, mais se recueille dans un visage unique, dans l’histoire souvent ignorée de ceux qui ne cherchent que la sécurité des règles. Ses pas effleurent les marges, là où la société n’ose regarder. C’est là que son action devient révolutionnaire, car elle renverse l’ordre des priorités : pour l’Évangile, personne n’est trop loin, trop sale, trop faible pour être aimé. Les gestes de Jésus sont comme des éclairs qui déchirent la nuit : une profonde provocation, une révélation de l’échec d’une vie asphyxiée, fermée dans le mensonge, incapable d’accueillir le vent du dévoilement. Jésus est une transparence totale, une lumière vraie qui entre dans l’obscurité des ténèbres, et les ténèbres révèlent ce qu’elles sont vraiment. Il ne craint pas le blâme du monde, car sa vérité ne cherche pas le consensus, mais l’éveil.

Chaque geste du Maître est une invitation à sortir de la prison des apparences. Comme la lumière qui pénètre dans une pièce sombre, la présence de Jésus révèle ce qui est vraiment là : non pas pour condamner, mais pour libérer. C’est la vérité qui ne se repose pas sur les compromis, qui ne craint pas le jugement. Dans cette transparence se trouve le plus grand défi : accepter de se laisser regarder, de se laisser démasquer, car seule la vérité sauve et donne le souffle. Quand le Fils de l’Homme entre dans la maison du pécheur, il se passe une révélation : à ses yeux, nous sommes tous dans le même bateau, enfants d’une même fragilité. Les distinctions qui nous rassurent ne sont que des voiles tissés par notre peur ; elles ne sont pas la pensée de Dieu. Il y a un regard que Jésus a apporté sur la terre, un regard qui va au-delà des conventions, qui pénètre la réalité des choses et en saisit l’essence, non l’apparence. Heureux celui qui reçoit ce regard, car en lui se réveille la vérité qui libère.

Dans le visage du Christ, chaque homme découvre son humanité, sans concession ni illusion. Sous le regard du Fils de l’Homme, tombent les voiles des différences qui nous rassurent : tous, devant Lui, nous sommes des créatures fragiles et précieuses. La véritable révolution de l’Évangile, c’est cette communauté dans la fragilité, cette fraternité qui ne se contente pas de rassurances, mais ose la vérité qui libère. N’aie pas peur d’être différent, d’être jugé par le monde. Laisse la lumière du Christ entrer dans ton obscurité, démasquer les compromis, dissoudre les fausses sécurités. Sois libre comme le vent, et suis la voix du Maître qui appelle chaque homme, chaque femme, à sortir de la mort de l’âme et à entrer dans la vie en plénitude. « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »

L’invitation de l’Esprit est claire comme le ciel après la tempête : n’aie pas peur de la différence, ne te laisse pas enchaîner par les murmures du monde. Sois plutôt comme le vent qui traverse les frontières, qui n’a pas peur d’être jugé, qui connaît son origine et sa destination. Laisse la vraie liberté, qui ne se plie pas à la commodité mais n’obéit qu’à l’amour, être ta lumière. Là où habite l’Esprit, toute chaîne se brise, et la vie renaît dans sa plénitude. Qui trouve la liberté dans le Christ se trouve lui-même. Ainsi, aujourd’hui encore, l’Esprit parle, invitant chacun à accueillir la vraie liberté : celle qui ne craint pas la vérité, qui ne s’appuie pas sur les apparences, qui ose aimer sans mesure. Que ce soit là le chemin, que ce soit là notre prophétie.

 

dimanche 16 novembre 2025

Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers

 




XXXIV Dimanche du Temps Ordinaire   Année C

Paolo Cugini

Aujourd’hui s’achève l’année liturgique au cours de laquelle nous avons entendu l’Évangile de Luc, qui raconte le cheminement de Jésus de Nazareth jusqu’à Jérusalem. Un parcours jalonné de surprises et de choix difficiles, de controverses âpres avec les pharisiens et la classe sacerdotale du Second Temple, qui l’ont conduit à la croix. La liturgie de l’Année C conclut l’année par la Solennité du Christ, Roi de l’Univers, en nous offrant une lecture qui relate la grande souffrance et l’humiliation de Jésus sur la croix. Pourquoi ce choix ? Que veut-il nous dire ?

À ce moment-là, [après avoir crucifié Jésus,] le peuple restait là à regarder ; mais les chefs se moquaient de Jésus.

La vie de Jésus fut emplie d’amour, d’attention portée à tous ceux qu’il rencontrait sur sa route, particulièrement aux plus pauvres. Il a connu beaucoup de personnes et a consacré sa vie à faire le bien. Pourtant, dans les derniers instants de sa vie, Jésus a expérimenté une profonde solitude. Il est arrivé nu sur la croix, moqué, ridiculisé, frappé, humilié et, surtout, abandonné par ses amis, les disciples avec qui il avait partagé les années de sa vie publique. Pourquoi cette solitude ? Que signifie-t-elle pour notre chemin de foi ? Les terribles heures qui ont marqué les derniers moments de la vie de Jésus révèlent le cœur de ses disciples, leurs attentes déçues et leur profonde désillusion. La croix de Jésus révèle, d’une manière définitive et dramatique, que Jésus n’est pas le roi politique espéré, capable de vaincre les Romains : il est tout autre chose. Les disciples comprennent, à partir du moment où Jésus est arrêté, que leur cheminement de disciple et leurs attentes ne correspondaient pas à ce que Jésus voulait proposer. Et pourtant, pourrait-on dire, ils l’avaient écouté, ils avaient vu ses œuvres, alors pourquoi cette perplexité ? Pourquoi tant d’incompréhension ? La réalité de la croix a démasqué et mis à nu les fantasmes de gloire des disciples, leurs idéologies. L’attention à la réalité permet un processus de déconstruction des idéologies qui encombrent nos esprits et filtrent la réalité, nous empêchant de la comprendre. Pour les disciples, la croix représentait la mort de leurs idéaux et la possibilité d’une renaissance à une vie nouvelle.

« Il en a sauvé d’autres ! Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu. »

La demande des chefs du peuple à Jésus montre qu’ils ont totalement mal compris son message. La preuve qu’ils exigent pour attester qu’il est le Christ, c’est sa propre sauvegarde. Jésus a démontré exactement le contraire : il a montré être le Christ de Dieu précisément à travers une vie de don total, s’efforçant sans cesse de sauver la vie de ceux qu’il rencontrait. Jésus nous a montré par sa vie que nous sauvons nos vies en les perdant pour ceux que nous aimons, pour ceux que nous croisons. Nous nous enrichissons en nous sacrifiant pour partager avec ceux qui sont dans le besoin. Voilà le grand enseignement humain de Jésus : un amour sans mesure pour tous. Dans cette perspective, il nous faut aussi nous rappeler les paroles que Jésus prononce sur la croix, justement dans la version de Luc que nous lisons aujourd’hui, quand il affirme : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Peut-on imaginer un amour plus grand que celui-ci ? Mourant sur la croix, Jésus ne pense pas à son propre salut, mais à celui de ses bourreaux. Jésus meurt seul sur la croix, mais pleinement conscient de ses choix. Il meurt librement par amour : il a choisi d’aimer jusqu’au bout.

« En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

Jésus meurt entre deux larrons : la mort de l’infamie, confirmant tout son parcours, où il n’a jamais cherché à être quelqu’un, à rechercher la gloire des hommes, mais a toujours été attentif aux plus faibles. Ceux qui décident de consacrer leur vie aux pauvres n’ont pas le temps de penser à leur carrière. Même sur la croix, Jésus reste attentif à ceux qui l’entourent, il les écoute, et même dans ce contexte, il ressort que suivre n’est pas une question de participation massive, mais un choix personnel.

Jésus est le roi de l’univers parce que, par son choix de l’amour authentique, en rejetant la gloire des hommes, il entre dans les veines de l’histoire avec son Esprit d’amour que tous nous pouvons accueillir.

 

lundi 10 novembre 2025

Le Pardon : prophétie d’espérance et de transformation

 




Paolo Cugini

 

« Tu lui pardonneras » (Lc 17,5).

 Telles sont les paroles étranges de Jésus, des déclarations qui provoquaient l’étonnement de ses auditeurs. Des paroles qui secouent, qui renversent la logique commune, qui semblent presque folles aux yeux de ceux qui sont habitués au calcul et à la justice du mérite. Pourtant, c’est précisément dans cette folie que réside la sagesse de Dieu. Le pardon, pour Jésus, n’est pas une simple recommandation mais un impératif absolu : il faut toujours pardonner, sans mesure, sans calcul opportuniste.

Pourquoi le pardon est-il si important pour Jésus ? Cette demande n’est-elle pas en net contraste avec la logique du monde, qui récompense ceux qui travaillent et punit ceux qui se soustraient à leur devoir ? Jésus renverse la perspective : son regard ne s’arrête ni aux apparences ni aux jugements humains. Là où la société voit des paresseux, des cas perdus, des cœurs endurcis et incapables de changer, Jésus aperçoit encore une lueur de vie, une fissure de lumière dans la nuit la plus noire.

Pourquoi faut-il pardonner même face à l’évidence d’un échec définitif ? Peut-être précisément pour cela : parce qu’aux yeux de Jésus rien ni personne n’est perdu pour toujours. Une porte, même à peine entrouverte, peut toujours être franchie. Un cœur, même le plus obstiné, peut être touché à nouveau par la grâce. Dans le pardon réside une confiance extrême en une possibilité qui dépasse tout jugement, toute statistique, toute histoire personnelle marquée par le mal. Dans l’invitation à pardonner toujours, se dévoile l’extrême confiance que Jésus place en l’humanité. « Là où le péché abonde, la grâce surabonde », disait saint Paul. Là où nous avons déjà prononcé un verdict sans appel, Jésus entrevoit encore l’image et la ressemblance de Dieu. Là où pour nous il n’y a qu’un cœur éteint, endurci, incurable, Il voit une étincelle capable de se rallumer.

Le pardon est donc le chemin de l’espérance, la voie qui rouvre des horizons de vie même là où tout semble mort. Voici le sens profond de l’Église : être une communauté qui offre au perdu la possibilité de se retrouver, de recommencer, de faire à nouveau l’expérience de la miséricorde. Sans pardon, l’Église perd son propre cœur, elle se transforme en tribunal, en lieu d’exclusion plutôt que d’accueil.

S’en remettre au pardon et non aux logiques humaines, c’est ouvrir la porte au Mystère révélé dans le Christ, permettre à son Esprit de pénétrer dans les replis les plus sombres de l’humanité pour la transfigurer de l’intérieur. C’est la vie qui souffle là où régnait la mort, l’amour qui refleurit là où la haine et la rancœur ont ravagé le terrain du cœur. Dans cette perspective, le pardon n’est pas faiblesse, mais force créatrice, prophétie d’une humanité toujours recommencée. Pardonner toujours n’est ni facile ni spontané, cela va à l’encontre de la logique de réciprocité sur laquelle repose le monde. Pourtant, c’est justement là que brille la nouveauté de l’Évangile : donner une chance à chacun, toujours, sans jamais se lasser. Jésus, prophète du possible, nous enseigne que tant qu’il y a du pardon, il y a une nouvelle vie.

 

lundi 3 novembre 2025

La théologie des marges

 




Paolo Cugini

 

 

Il existe une théologie qui ne cherche pas la scène, qui ne s’empresse pas d’obtenir des reconnaissances ni ne s’accroche à la rigueur des grands systèmes doctrinaux. C’est la théologie marginale, celle qui naît dans l’ombre, sur les sentiers poussiéreux de l’histoire, là où la vie se mesure au poids des jours et au bruit sourd des échecs quotidiens. Une théologie qui respire l’odeur âcre de l’oubli et se couche là où le monde détourne le regard, convaincu que rien d’important ne peut germer dans ces lieux délaissés.

Pourtant, il y a beaucoup à apprendre sous les ponts, entre les mains tremblantes de ceux qui n’ont pas trouvé refuge, parmi les corps fatigués cherchant un abri dans le vent de la nuit. Des enseignements sont cachés dans la faim qui mord chaque aube, sur ces visages qui affrontent la journée sans la certitude d’un repas. En ces lieux, la présence du Mystère se révèle puissante, comme pour contredire la présomption des grandes chaires. Ici, parmi les ombres des favelas latino-américaines, le Mystère se fait chair au quotidien, il s’insinue entre la lutte pour la vie et les abus des trafiquants de drogue qui décident du destin de générations entières.

Le théologien des marges, celui qui s’arrête pour écouter le silence de ces rues, découvre un visage du Mystère qui échappe aux yeux de ceux qui restent enfermés dans les palais des grands centres théologiques. Il y a quelque chose de prodigieux dans la vie des pauvres, une sagesse qui ne naît pas des livres mais du contact direct avec la souffrance, la solidarité et la résistance quotidienne. C’est ici que l’on expérimente la présence du Mystère de façon viscérale, comme un éclair qui déchire la nuit et éclaire le sens profond de l’existence.

Si vraiment, comme le raconte l’Évangile, Jésus a voulu s’identifier aux derniers, cela signifie que le chemin authentique vers la connaissance du Mystère passe précisément par cette solidarité avec ceux qui vivent aux marges. Vêtements déchirés et sales, chaussures usées, masures en guise de maisons, nourriture manquante, travail inexistant, jeunes privés de toute opportunité, personnes âgées abandonnées : que signifie vivre le Mystère dans de telles conditions ? Où se cache la lumière parmi les fissures de la misère ?

Peut-être est-ce justement ceux qui vivent dans la marginalité qui pressentent le Mystère, car celui-ci se manifeste dans la fragilité, la précarité, dans l’espérance qui subsiste envers et contre tout. Pourtant, en lisant ces mots, les misérables de l’histoire souriraient amèrement et relanceraient la question : comment ceux qui habitent dans de somptueux palais, avec des portefeuilles bien garnis, pourraient-ils percevoir le Mystère ? La réponse, ils la connaissent déjà : impossible. Car le Mystère ne se laisse pas capturer par l’abondance ni ne se manifeste dans l’autosuffisance, mais il habite la chair blessée du monde, là où la vie lutte pour ne pas succomber.

Ainsi, la théologie marginale, bien qu’elle reste aux confins, garde un trésor de vérités trop souvent ignorées. Elle nous rappelle que la vraie connaissance ne se conquiert pas d’en haut, mais s’accueille en se penchant, en s’abaissant, en partageant le pain amer de l’existence. Au fond, le Mystère habite là où le cœur se fait prochain, où l’homme devient frère, la femme sœur, où la pauvreté devient matrice de lumière et la marginalité se transforme en lieu de révélation.

samedi 1 novembre 2025

HEUREUX ÊTES-VOUS

 




Paolo Cugini

 

 

Dans le silence de l’aube, lorsque le monde semble encore retenir son souffle avant de plonger dans la course de la journée, résonnent les paroles anciennes et toujours nouvelles de Jésus : « Heureux êtes-vous ». Des paroles qui descendent comme la rosée des hauteurs, portant avec elles une bénédiction qui change le visage des choses. Accueillir cette bénédiction qui vient d’en haut n’est pas seulement un acte de foi, mais une immersion dans une source qui donne un sens positif à la journée, un baume qui transforme la souffrance en espérance.

Les paroles de Jésus ne sont pas de simples sons ; elles sont caresses, elles sont des étreintes invisibles qui se posent sur l’humanité souffrante. Sa voix résonne dans les cœurs blessés, racontant un regard d’amour qui souhaite apaiser les plaies, qui plonge dans la douleur pour apporter du réconfort. En elles se révèle une pensée qui cherche le bien, qui souffre avec ceux qui souffrent, qui veut transmettre vie et paix là où semble régner la désolation.

Heureux êtes-vous. Une affirmation qui ne connaît pas de frontières, car la bénédiction de Jésus naît du souffle de vie initial, ce souffle divin qui traverse les siècles et ne s’arrête pas devant les barrières de l’indifférence et de l’injustice. L’amour niché dans ces paroles vient de loin, d’une source qui ne s’épuise jamais.

Les paroles de bénédiction sont une force pour les faibles, une main tendue pour celui qui est tombé en chemin. Elles sont lumière dans les nuits de la solitude, compagnie sur les sentiers de la pauvreté, espérance dans les déserts de l’exclusion, baume dans le fléau de la marginalisation. Jésus s’approche de celui qui est sur le point de succomber sous le poids des injustices, et prononce un mot qui change tout : Heureux !

Dans ces quelques syllabes se cache une prise de position nette et radicale : le Mystère de la vie pleine et de l’amour vrai révélé en Jésus se tient toujours du côté des exclus, des oubliés, de ceux que le monde abandonne aux marges. C’est comme si, devant les portes closes, le Messie murmurait : « Ne vous sentez pas abandonnés, car moi, le Seigneur de l’histoire, je suis avec vous pour vous relever. »

À vous, frères et sœurs qui vivez dans l’affliction, le Verbe ne dit pas de vous inquiéter. Il promet au contraire d’être toujours à vos côtés, présence silencieuse mais réelle, capable de consoler et de redonner force. Il existe une source d’amour éternel que seul le cœur affligé peut percevoir, car il a été promis par Celui qui ne ment pas : Heureux êtes-vous.

Cette bénédiction n’est pas une fuite devant la douleur, mais le courage de la traverser avec la certitude que quelqu’un marche à vos côtés, que la dignité des plus petits est gardée par un regard divin. Heureux êtes-vous : ce n’est pas seulement un mot, mais une prophétie qui traverse l’aujourd’hui et ouvre les portes à une espérance qui ne déçoit pas. Dans un monde souvent inattentif, l’annonce de Jésus est une révolution silencieuse : le souffle de vie qui ne s’avoue jamais vaincu, qui relève, qui apporte une lumière nouvelle. Et quiconque se sent pauvre, exclu, affligé, peut se laisser toucher par cette bénédiction venue d’en haut, l’accueillir comme un don qui transforme la nuit en jour, car heureux êtes-vous est le chant de celui qui sait voir au-delà des larmes, au-delà des injustices, au-delà du temps.

Que chaque cœur oppressé puisse ressentir aujourd’hui la caresse de ces paroles, car la sérénité s’appelle bénédiction, s’appelle amour, s’appelle vie qui ne meurt pas.

jeudi 23 octobre 2025

RÉFLÉCHIR AU NOUVEAU PARADIGME

 



Paolo Cugini

 

 

Depuis des décennies, on parle de culture postmoderne et d'un monde en mutation. De nombreux secteurs de la culture sont définis par le préfixe « post ». On perçoit un monde dont on s'éloigne hâtivement, avec l'envie de le laisser derrière soi. Les nouvelles générations naissent sans grande envie de connaître le passé, immergées dans l'ici et maintenant, mais surtout dans les mondes parallèles offerts par les nouvelles technologies. Comprendre notre monde est un point de départ important pour apprendre à l'habiter consciemment. Ce niveau essentiel de compréhension de la réalité n'est pas simple. Un aspect qui différencie précisément le nouveau contexte culturel de l'ancien est précisément ce fait. Nous sommes entrés dans un monde si complexe qu'il est difficile à résumer. À l'inverse, le monde moderne était caractérisé par un paradigme simple. Tout, en réalité, était réduit au sujet, à la capacité de décrire chaque aspect de la connaissance et de la compréhension de manière rationnelle et intelligible. Il existait des points fixes dans la modernité qui rendaient le débat culturel possible et compréhensible, car les variations en jeu étaient connues de tous. Au-delà de cela, la vie quotidienne était rythmée par des rythmes réguliers, où la religion, la politique, la justice et la morale avaient leur propre espace reconnu par les autres forces en jeu. Tout semblait harmonieux.

Pourtant, malgré les apparences, tout s'est effondré. La crise écologique, de plus en plus manifeste et inquiétante par les signes de non-retour qu'elle montre, est visible de tous. La crise économique mondiale actuelle est un signe clair que le système économique développé par la modernité n'était pas si efficace. La crise politique des démocraties, qui peinent à absorber les disparités constantes entre les classes sociales et l'augmentation de la pauvreté, provoque le retour des mouvements d'extrême droite dans le monde entier. Que dire de la crise que traverse le christianisme ? La religion qui, pendant des siècles, s'est identifiée au monde occidental, construisant de magnifiques cathédrales, protagoniste de toute forme d'intervention sociale, et créant écoles, universités et hôpitaux, semble avoir atteint son terme. Il semble que la pensée la plus moderne soit en jeu, une pensée qui, en quête de perfection, a souvent oublié d'inclure la réalité et, avec elle, la nature, lorsqu'elle a tenté de systématiser le monde hypothétique en un schéma. À mon avis, c'est cette méthode, et le paradigme qui en résulte, qui sont définitivement entrés en crise. C'est la réalité qui a répondu aux systèmes développés dans la modernité par une invocation sous-jacente : la raison ne peut se permettre d'ignorer la réalité. Il y a donc une rationalité attaquée, car elle est la cause des désastres à tous les niveaux auxquels le monde est confronté aujourd'hui. Le préfixe « post », que l'on retrouve aujourd'hui dans divers domaines culturels, signifie avant tout une nette distanciation par rapport à ce mode de raisonnement qui mène à l'effondrement du cosmos. Ce que l'on pourrait appeler la culture de l'ère post-moderne a donc pour signification profonde la recherche d'une rationalité capable de dialoguer avec la réalité et, surtout, qui ne l'invente pas, créant des mondes dystopiques, irréels et dénués de sens. La culture de l'ère post-moderne est donc confrontée à une tâche majeure : réécrire la trame même de la vie quotidienne. La nouvelle rationalité a le devoir fondamental d'écouter la réalité et, pour cette raison, elle ne peut s'empêcher de s'intéresser à la science, à ce que ceux qui interagissent quotidiennement avec la nature, le cosmos, les micro-organismes et les macro-organismes qu'ils observent, comprennent et analysent. Il s'agit d'un changement de paradigme fondamental, qui exige la volonté d'abandonner définitivement les méthodes qui sont à l'origine de la destruction de la planète et des cultures.

Le changement apporte la nouveauté. C'est particulièrement vrai lorsque nous sommes plongés dans un changement de paradigme, comme c'est notre cas. Un changement de paradigme implique un changement de mentalité, de façon de penser, d'évaluer les choses. Assimiler la nouveauté n'est pas chose aisée, car cela exige d'être prêt à abandonner l'ancien, à considérer comme obsolètes les anciennes façons d'appréhender la réalité. Nous pouvons être convaincus par les preuves accablantes de l'effondrement systématique de l'ancien monde et de la force irrésistible du nouveau qui avance. La tentation de se replier sur soi-même, de faire comme si de rien n'était, de faire l'autruche est vaine. Tôt ou tard, nous devrons composer avec le nouveau, qui avance à une vitesse vertigineuse. Ce sont de nouveaux critères qui entrent en jeu et continuent de l'être en raison de la rapidité des changements en cours. Cette rapidité est l'une des caractéristiques déterminantes du nouveau paradigme culturel en constante évolution. La vitesse signifie, d'une part, la difficulté d'accompagner les changements, et, d'autre part, la grande capacité d'adaptation aux nouvelles situations qui se présentent. Nous sommes ainsi passés d'un mode de vie fondé sur des valeurs apparemment éternelles à une manière d'être au monde dépendante des événements du présent. La rapidité de ces changements en cours attire l'attention sur le besoin de rationalité. Habitués dans la modernité à des temps lents, en quelque sorte éternels, au sens où les repères culturels sont immuables, il devient difficile de s'adapter au nouveau rythme du changement.

On pourrait se demander si, pour être pertinent, il est nécessaire de pouvoir exploiter tout ce que le nouveau cadre culturel offre. En fin de compte, de quoi dépend l'identité personnelle ? La réponse à cette simple question révèle déjà l'ampleur du changement en cours. En effet, si l'on affirme que l'identité d'une personne, sa place dans la société, et donc sa valeur, dépendent d'un référentiel idéal de valeurs qui guident la vie commune, on se place immédiatement dans le domaine du « pré », de ce qui était et n'est plus. Une caractéristique de ce que nous vivons est l'inutilité totale des critères absolus qui ont guidé le monde occidental pendant des siècles. La quête de fondement, caractéristique de la métaphysique classique – une quête importante non seulement dans le monde philosophique mais aussi religieux – n'est plus un besoin ressenti par les nouvelles générations. Ce qui importe aujourd'hui et ce qui donne de la valeur à l'identité personnelle, c'est l'image, la visibilité. Qui est visible est pertinent. De plus en plus, les décisions, personnelles et collectives, se fondent sur les opinions relayées sur les plateformes médiatiques. L'opinion des autres compte. Qu'il s'agisse d'une masse manipulée est une toute autre question. Entrer dans ce monde signifie apprendre à naviguer dans les faiblesses d’un processus de pensée qui ne recherche pas la profondeur, mais seulement la persuasion. 

Pour ceux qui ont une formation philosophique et religieuse, le contexte culturel actuel est inquiétant. Une culture fondée sur l'image est fragile et faible, et pousse à des changements constants et infondés. Même la raison devient un outil non pas pour guider des choix cohérents, mais pour servir une logique de persuasion qui ne crée aucun avenir, mais seulement la capacité d'habiter des mondes différents, parfois simultanément. 

 

jeudi 16 octobre 2025

Malheur à vous !

 


 

 

 Paolo Cugini

Malheur à vous, docteurs de la Loi, vous qui avez enlevé la clé de la connaissance ; vous n’êtes pas entrés vous-mêmes, et vous avez empêché d’entrer ceux qui le voulaient (Lc 11,52).

Il existe un style prophétique qui traverse les générations, un vent qui refuse d’être emprisonné entre les murs des temples, mais qui souffle puissamment sur les routes du monde. C’est la voix qui n’a pas peur de dénoncer les méfaits de ceux qui détiennent le pouvoir, qui secoue les consciences et appelle à la vérité. Voilà le cœur battant de l’Évangile : il ne ferme pas les fidèles dans des espaces étroits, mais les pousse au-delà, là où la douleur et l’espérance se rencontrent, où la justice réclame sa place parmi les hommes et les femmes.

L’Évangile nous enseigne que le mal se répand non seulement par l’action des méchants, mais aussi par le silence de ceux qui professent une religion vide, une pratique destinée uniquement à obtenir des avantages personnels, spirituels ou matériels. De telles religions, le monde n’en a pas besoin, avertit le prophète, car elles alimentent les sentiments les plus bas de l’humanité : égoïsme, revanche, envie, jalousie. Ce sont des religions qui construisent des murs au lieu de ponts, qui divisent au lieu d’unir. Mais le message de Jésus est tout autre : il annonce le Royaume de Dieu, un fragment d’humanité renouvelée où la soif de justice, l’amour des pauvres, l’attention envers les exclus et le désir de construire des ponts de paix animent chaque relation.

Le prophète ne se tait pas devant les maux du monde. L’esprit prophétique, qui souffle sur la communauté des fidèles, réveille les consciences, rend la voix forte et claire face à l’hypocrisie de ceux qui abusent de leur pouvoir, ne cherchant que leur propre intérêt. « Malheur à vous ! » dit Jésus à ceux qui, sans scrupule, ont choisi la voie du mal. L’Église prophétique n’est pas une spectatrice muette ; elle accuse, dénonce, secoue. Elle devient signe du Ressuscité, de la vie qui ne meurt jamais, exemple vivant d’une justice qui ne se laisse pas corrompre et d’une espérance qui ne s’éteint pas.

Il est temps d’ouvrir les portes, de sortir des sécurités et d’apporter la lumière de l’Évangile là où l’ombre semble l’emporter. Le prophète marche en tête, dans la poussière des chemins, offrant des paroles qui sont des semences de changement, affrontant le vent contraire avec la force de l’amour et la certitude que le Royaume de Dieu est proche, prêt à germer parmi ceux qui choisissent la voie de la justice, de la miséricorde et de la vérité. Que chacun, sur son propre chemin, puisse être une voix prophétique, un pont de paix, un signe d’une humanité nouvelle.

La Liberté qui dévoile

  Une invitation de l'Esprit à se laisser traverser par la liberté du Christ Paolo Cugini   Voyant cela, tous murmuraient : « Il est ent...