vendredi 12 décembre 2025

Vers une théologie liquide

 



 

Analyse critique de la théologie dogmatique et proposition d'un nouveau mode de pensée théologique

Paolo Cugini

 

Dans le paysage contemporain, la réflexion théologique se trouve à un carrefour épistémologique crucial. Si la théologie dogmatique peut être définie comme « solide », c’est-à-dire fondée sur des principes et des systèmes stables et souvent immuables, son contraire naturel est la « fluidité ». Cette métaphore, empruntée au lexique des sciences sociales, suggère une théologie capable de s’adapter, d’évoluer et de se renouveler en fonction des besoins historiques, culturels et sociaux de l’époque actuelle.

La solidité de la théologie traditionnelle, tout en garantissant la cohérence doctrinale et l'identité, a souvent engendré des rigidités qui entravent le dialogue avec la complexité de l'actualité. Cette rigidité épistémique, de fait, rend difficile la prise en compte des nouvelles exigences de la société, engendrant désorientation et méfiance envers les possibilités de réforme. Une structure solide, si elle est incapable d'évoluer, risque de s'effondrer face à des défis qu'elle ne peut ni comprendre ni résoudre, jusqu'à disparaître progressivement du paysage culturel.

Dans ce contexte, le besoin d'une théologie nouvelle se fait jour, capable d'aborder les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent, sans se figer face à la diversité ou à la nouveauté. La théologie liquide, dans cette perspective, ne se contente pas de tolérer les différences, mais les accueille comme une occasion de croissance, d'écoute et de dialogue. Elle perçoit la pluralité des opinions non comme une menace, mais comme un stimulant constructif susceptible de renouveler la doctrine elle-même.

La théologie liquide se distingue ainsi par sa capacité à donner et à recevoir, à accueillir les contributions d'autres théologies sans crainte de contamination. Elle incarne de ce fait un modèle ecclésial plus inclusif et miséricordieux, en net contraste avec la rigidité doctrinale qui, au fil des siècles, a parfois engendré violence et intransigeance. Les pages sombres de l'histoire, de la « sainte » Inquisition à la chasse aux sorcières, témoignent de la manière dont une théologie rigide, alliée au pouvoir politique, a imposé par la force une foi uniforme, annihilant la diversité et la liberté de conscience.

En conclusion, la théologie liquide propose un paradigme alternatif, capable de dépasser les rigidités du passé et de promouvoir une pensée théologique plus ouverte et dialogique, attentive aux enjeux du présent. Seule cette transformation épistémologique permettra de redonner à la théologie sa fonction originelle : un lieu de recherche, de discussion et d’expérience spirituelle authentique.

 

samedi 6 décembre 2025

Le jour où les femmes quittèrent l’Église : pour toujours

 




Paolo Cugini

 

 

Et le jour arriva. Il y avait dans l’air un murmure accompagné de rires amicaux. Une fuite silencieuse, mais joyeuse. Elles s’étaient mises d’accord en secret, comme au bon vieux temps de l’école. Mais maintenant, elles étaient adultes et, justement pour cette raison, décidèrent ce jour-là d’aller ailleurs. En effet, elles avaient décidé de quitter l’église pour toujours : sans retour. Les derniers événements les avaient définitivement convaincues qu’il n’y avait pas de place pour elles. Peut-être que ces refus constants faisaient justement partie d’une voix du Mystère qui orientait l’histoire, l’univers, à suivre une autre voie. L’univers est immense, alors pourquoi insister à rester dans un lieu qui, jour après jour, se révèle hostile ?

C’était là la pensée des amies qui, pleines de joie, ce jour-là décidèrent de parcourir toutes les rues du village pour appeler toutes les femmes qu’elles croisaient et leur annoncer la grande nouvelle : le Mystère nous appelle toutes à aller ailleurs. Des siècles et des siècles à ne recevoir que des refus, de l’incompréhension, des injonctions au silence. Et puis, vous ne vous rappelez pas quand ils s’amusaient à nous brûler, à nous traiter de sorcières ! Et pourquoi donc devrions-nous rester dans un endroit pareil, qui ne nous veut pas, qui nous traite mal ? Partons toutes, criaient-elles, et dansaient et chantaient joyeusement en passant de porte en porte. « Allons les filles ! Nous sommes libres ! Ne nous laissons plus piéger par leurs discours mesquins »

C’est ainsi que, dès ce jour, les églises restèrent sans aucune femme : elles étaient toutes parties.

Et ce jour-là, ce fut écrit dans le ciel et gravé dans les murmures du vent : « Des temps nouveaux viendront, » proclamait le silence des nefs vides, « car les femmes, filles de la terre et du courage, ont écouté le battement secret du Mystère. » Ainsi, telles des vagues quittant la rive après de longs siècles de tempête, elles s’éloignèrent des lieux qui ne les avaient pas aimées, emportant avec elles la lumière ancienne de la liberté. Et les cloches, qui autrefois appelaient au rassemblement, restèrent muettes à contempler la révolution paisible des âmes en marche.

Ce fut la fin d’une époque et l’aube d’une autre, où la voix des femmes, enfin libérée des chaînes de l’invisibilité, résonna dans les ruelles, sur les places, sous le ciel infini : « Il n’y aura plus de prison qui puisse nous retenir, ni de parole qui puisse nous réduire au silence. Dès aujourd’hui, la vie s’écrit ailleurs. » Et aujourd’hui encore, qui écoute avec un cœur ouvert peut les entendre, danser légères à la frontière entre l’ancien et le nouveau monde, annonçant que là où la liberté appelle, aucun cœur ne restera enchaîné.

 

 

jeudi 4 décembre 2025

Le sentier du royaume des cieux

 




Paolo Cugini

 

 

« Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur” que l’on entrera dans le Royaume des cieux » (Mt 7,21).

Hommes et femmes qui cherchez un sens dans les replis de votre existence, écoutez ! Le Royaume des cieux ne se manifeste pas comme les royaumes du monde, il ne s’élève pas entre des murs de pierre ni ne repose sur des trônes de pouvoir. Ce n’est pas une réalité qui échappe au regard humain, ni une ombre qui se dissout dans l’au-delà. Il est, au contraire, un chemin qui s’ouvre au cœur de la vie quotidienne, une manière nouvelle d’être, un souffle qui transforme la relation à autrui et à soi-même. Qui veut entrer dans ce Royaume, qu’il écoute la Parole et la mette en pratique. C’est de là que l’on part, c’est ainsi que l’on avance.

Il ne s’agit pas d’adhérer à une doctrine ou de professer une foi extérieure : le Royaume ne s’ouvre qu’à celui qui laisse la Parole de Jésus illuminer son chemin, brisant le joug des instincts qui nous enferment dans le cercle de notre égoïsme. Comme le soleil qui perce les nuages, ainsi la Parole éclaire le cœur et libère l’homme de la logique de la possession et de la domination.

Voici le secret révélé : une humanité renouvelée, généreuse et désintéressée, qui se donne sans compter, qui sert avec humilité et sollicitude. C’est dans ce don, dans cette gratuité, que se manifeste le Royaume des cieux. Ce n’est pas un lieu, mais un état de l’âme, une relation qui devient proximité, soin, compassion. Qui vit la Parole sème la lumière, récolte la paix.

Il existe un sentier secret, tracé dans la trame de l’histoire, qui ne se dévoile qu’à ceux qui désirent ardemment, à ceux qui s’engagent avec une volonté brûlante à mettre en pratique ce qu’ils entendent. C’est la volonté qui ouvre la porte, qui transforme la Parole en révélation, en illumination.

Dans un monde souvent enveloppé de ténèbres, s’allume un chemin lumineux : la possibilité d’exister d’une manière nouvelle, différente, radicale. Cette différence est le véritable Royaume des cieux, la prophétie qui s’accomplit chaque fois que quelqu’un choisit de vivre selon la logique du service, du don, de l’amour gratuit.

Toi qui lis, le Royaume des cieux t’interpelle. N’attends pas qu’il soit un événement du futur : il est déjà là, chaque fois que tu choisis d’être lumière plutôt qu’ombre, chaque fois que la Parole devient action. « Qui cherche trouve », dit l’ancienne sagesse ; qui vit l’Évangile découvre la joie qu’aucun pouvoir ne peut enlever. Avance donc sur ce sentier caché, fais de ta vie le lieu où le ciel peut se refléter sur la terre.

 

mercredi 3 décembre 2025

Éprouver de la compassion

 




Paolo Cugini

J’éprouve de la compassion pour la foule (Mt 15,33).

Dans le silence qui précède l’aube, lorsque le cœur s’ouvre à une écoute profonde, une voix murmure : « Laissez-vous guider par la compassion, car c’est en elle que bat le cœur même du Christ. » C’est dans la compassion que l’action de Jésus trouve sa racine et son mouvement : un regard miséricordieux qui se pose sur les blessures de l’humanité, des mains tendues qui caressent les marges, des pas qui deviennent présence auprès de ceux qui gisent dans l’ombre.

Chaque geste de compassion est une étincelle qui révèle la Lumière du Mystère. En Jésus, le Mystère se fait chair et s’approche de celui qui souffre, rompant le pain de la rencontre et illuminant les nuits les plus épaisses. Le visage caché de Dieu se dévoile dans les traits de celui qui console, de celui qui recueille les larmes et offre des paroles simples qui ont la saveur de l’éternel. La compassion est le prisme à travers lequel le Mystère se réfracte sur le monde, rendant visible ce qui est invisible aux yeux du pouvoir. Accueillir l’Esprit, c’est ouvrir grand les portes de notre humanité pour que le souffle divin la façonne selon la logique du don. L’Esprit souffle où il veut, et le cœur qui se laisse modeler par sa brise devient une argile vivante, prête à devenir refuge pour celui qui est seul, voix pour celui qui est muet, caresse qui guérit. Nous sommes appelés à devenir une transparence docile, un temple où la compassion habite et transforme.

Il n’y a pas de vraie suite sans la capacité de s’arrêter devant la souffrance, de reconnaître dans le visage blessé du frère et de la sœur le lieu sacré de la rencontre. La compassion n’est pas une fuite de l’humain, mais une immersion dans sa vérité la plus profonde : c’est pleurer avec ceux qui pleurent, être aux côtés de ceux qui n’ont pas de voix, devenir blessure dans la blessure d’autrui. Dans cette étreinte, la douleur devient le sein d’un nouvel espoir.

La lumière qui émane de la compassion dissout toute barrière, annule les distances et ne distingue que ce qui unit. Dans le Mystère déchiré par la tendresse, nous sommes tous des pèlerins sur le même chemin, égaux dans la soif d’amour, unis par le désir de communion. Ici tombent les tours de l’orgueil et se construisent des ponts de fraternité : la compassion nous révèle frères et sœurs, côte à côte, enfants du même Dieu. La compassion ne s’improvise pas ; elle est le fruit d’un chemin intérieur, d’une écoute attentive qui purifie le regard et convertit le cœur. Seul celui qui se laisse blesser par le cri du pauvre devient porteur de lumière. La mission du croyant est de se laisser traverser par la compassion, afin que le monde ressente la caresse de Dieu à travers des mains humaines : aller là où personne ne va, aimer là où l’espérance faiblit, porter des foyers de consolation dans les nuits de la douleur.

Aujourd’hui, tels des prophètes appelés par le vent de l’Esprit, nous sommes conviés à bâtir une communauté de cœurs compatissants : un espace où la compassion soit le sceau qui nous distingue et le lien qui nous unit. « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde. » Que cela soit notre bénédiction et notre chemin, car sur la voie de la compassion, la Lumière du Mystère continue de briller, et le monde, malgré ses blessures, découvre la joie d’être aimé.

 

mardi 18 novembre 2025

La Liberté qui dévoile

 




Une invitation de l'Esprit à se laisser traverser par la liberté du Christ

Paolo Cugini

 

Voyant cela, tous murmuraient : « Il est entré chez un pécheur ! » (Lc 19,7).

Ainsi parle l’Esprit : Lis l’Évangile, homme, et tu seras frappé par la grande liberté de Celui qui a marché sur les routes de Galilée et de Judée. Il ne s’arrête pas aux apparences, ne se plie pas au vent de la mentalité ambiante, ne se laisse pas enfermer par les jugements des autres. Jésus fait le bien toujours et en toute circonstance, comme le soleil qui brille sur les justes et les injustes. Sa liberté est comme une eau qui rompt les digues de la convention et se répand là où le cœur est assoiffé.

Sur le chemin du Christ, la liberté devient un signe bouleversant : elle brise les schémas et défait les chaînes des habitudes. Ce n’est pas la liberté apparente de celui qui s’adapte au vent de la pensée dominante, ni celle de celui qui s’illusionne d’être maître de soi tout en restant prisonnier de l’opinion des autres. Jésus est libre jusque dans la racine la plus profonde de l’être : sa liberté ne divise pas, mais libère ; n’isole pas, mais rapproche. Il franchit les frontières, tel l’eau qui cherche les terres assoiffées, sans craindre d’arroser des terres jugées stériles ou indignes. C’est précisément cette liberté qui scandalise ceux qui vivent d’apparences et rassure ceux qui ont soif d’authenticité. Sachez-le : Jésus sait ce qu’il fait. Il cherche l’homme et la femme en difficulté, il ne se satisfait pas de la foule, mais se penche sur l’unique qui est tombé, sur l’unique qui pleure. Il marche sur les marges, là où la société méritocratique et bien-pensante n’ose regarder, et il appelle à lui ceux qui se sentent exclus, blessés, oubliés. Son agir va à l’encontre des attentes humaines, scandalise les bien-pensants, trouble les gardiens de l’ordre établi. Le murmure du monde est l’écho d’une vie enfermée dans la peur, faite de conventions et de compromis, où la liberté est bradée pour une tranquillité qui sent la mort dans l’âme.

Avec le Christ, la compassion devient un acte concret : elle ne se perd pas dans la masse, mais se recueille dans un visage unique, dans l’histoire souvent ignorée de ceux qui ne cherchent que la sécurité des règles. Ses pas effleurent les marges, là où la société n’ose regarder. C’est là que son action devient révolutionnaire, car elle renverse l’ordre des priorités : pour l’Évangile, personne n’est trop loin, trop sale, trop faible pour être aimé. Les gestes de Jésus sont comme des éclairs qui déchirent la nuit : une profonde provocation, une révélation de l’échec d’une vie asphyxiée, fermée dans le mensonge, incapable d’accueillir le vent du dévoilement. Jésus est une transparence totale, une lumière vraie qui entre dans l’obscurité des ténèbres, et les ténèbres révèlent ce qu’elles sont vraiment. Il ne craint pas le blâme du monde, car sa vérité ne cherche pas le consensus, mais l’éveil.

Chaque geste du Maître est une invitation à sortir de la prison des apparences. Comme la lumière qui pénètre dans une pièce sombre, la présence de Jésus révèle ce qui est vraiment là : non pas pour condamner, mais pour libérer. C’est la vérité qui ne se repose pas sur les compromis, qui ne craint pas le jugement. Dans cette transparence se trouve le plus grand défi : accepter de se laisser regarder, de se laisser démasquer, car seule la vérité sauve et donne le souffle. Quand le Fils de l’Homme entre dans la maison du pécheur, il se passe une révélation : à ses yeux, nous sommes tous dans le même bateau, enfants d’une même fragilité. Les distinctions qui nous rassurent ne sont que des voiles tissés par notre peur ; elles ne sont pas la pensée de Dieu. Il y a un regard que Jésus a apporté sur la terre, un regard qui va au-delà des conventions, qui pénètre la réalité des choses et en saisit l’essence, non l’apparence. Heureux celui qui reçoit ce regard, car en lui se réveille la vérité qui libère.

Dans le visage du Christ, chaque homme découvre son humanité, sans concession ni illusion. Sous le regard du Fils de l’Homme, tombent les voiles des différences qui nous rassurent : tous, devant Lui, nous sommes des créatures fragiles et précieuses. La véritable révolution de l’Évangile, c’est cette communauté dans la fragilité, cette fraternité qui ne se contente pas de rassurances, mais ose la vérité qui libère. N’aie pas peur d’être différent, d’être jugé par le monde. Laisse la lumière du Christ entrer dans ton obscurité, démasquer les compromis, dissoudre les fausses sécurités. Sois libre comme le vent, et suis la voix du Maître qui appelle chaque homme, chaque femme, à sortir de la mort de l’âme et à entrer dans la vie en plénitude. « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. »

L’invitation de l’Esprit est claire comme le ciel après la tempête : n’aie pas peur de la différence, ne te laisse pas enchaîner par les murmures du monde. Sois plutôt comme le vent qui traverse les frontières, qui n’a pas peur d’être jugé, qui connaît son origine et sa destination. Laisse la vraie liberté, qui ne se plie pas à la commodité mais n’obéit qu’à l’amour, être ta lumière. Là où habite l’Esprit, toute chaîne se brise, et la vie renaît dans sa plénitude. Qui trouve la liberté dans le Christ se trouve lui-même. Ainsi, aujourd’hui encore, l’Esprit parle, invitant chacun à accueillir la vraie liberté : celle qui ne craint pas la vérité, qui ne s’appuie pas sur les apparences, qui ose aimer sans mesure. Que ce soit là le chemin, que ce soit là notre prophétie.

 

dimanche 16 novembre 2025

Notre Seigneur Jésus-Christ, Roi de l’Univers

 




XXXIV Dimanche du Temps Ordinaire   Année C

Paolo Cugini

Aujourd’hui s’achève l’année liturgique au cours de laquelle nous avons entendu l’Évangile de Luc, qui raconte le cheminement de Jésus de Nazareth jusqu’à Jérusalem. Un parcours jalonné de surprises et de choix difficiles, de controverses âpres avec les pharisiens et la classe sacerdotale du Second Temple, qui l’ont conduit à la croix. La liturgie de l’Année C conclut l’année par la Solennité du Christ, Roi de l’Univers, en nous offrant une lecture qui relate la grande souffrance et l’humiliation de Jésus sur la croix. Pourquoi ce choix ? Que veut-il nous dire ?

À ce moment-là, [après avoir crucifié Jésus,] le peuple restait là à regarder ; mais les chefs se moquaient de Jésus.

La vie de Jésus fut emplie d’amour, d’attention portée à tous ceux qu’il rencontrait sur sa route, particulièrement aux plus pauvres. Il a connu beaucoup de personnes et a consacré sa vie à faire le bien. Pourtant, dans les derniers instants de sa vie, Jésus a expérimenté une profonde solitude. Il est arrivé nu sur la croix, moqué, ridiculisé, frappé, humilié et, surtout, abandonné par ses amis, les disciples avec qui il avait partagé les années de sa vie publique. Pourquoi cette solitude ? Que signifie-t-elle pour notre chemin de foi ? Les terribles heures qui ont marqué les derniers moments de la vie de Jésus révèlent le cœur de ses disciples, leurs attentes déçues et leur profonde désillusion. La croix de Jésus révèle, d’une manière définitive et dramatique, que Jésus n’est pas le roi politique espéré, capable de vaincre les Romains : il est tout autre chose. Les disciples comprennent, à partir du moment où Jésus est arrêté, que leur cheminement de disciple et leurs attentes ne correspondaient pas à ce que Jésus voulait proposer. Et pourtant, pourrait-on dire, ils l’avaient écouté, ils avaient vu ses œuvres, alors pourquoi cette perplexité ? Pourquoi tant d’incompréhension ? La réalité de la croix a démasqué et mis à nu les fantasmes de gloire des disciples, leurs idéologies. L’attention à la réalité permet un processus de déconstruction des idéologies qui encombrent nos esprits et filtrent la réalité, nous empêchant de la comprendre. Pour les disciples, la croix représentait la mort de leurs idéaux et la possibilité d’une renaissance à une vie nouvelle.

« Il en a sauvé d’autres ! Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu. »

La demande des chefs du peuple à Jésus montre qu’ils ont totalement mal compris son message. La preuve qu’ils exigent pour attester qu’il est le Christ, c’est sa propre sauvegarde. Jésus a démontré exactement le contraire : il a montré être le Christ de Dieu précisément à travers une vie de don total, s’efforçant sans cesse de sauver la vie de ceux qu’il rencontrait. Jésus nous a montré par sa vie que nous sauvons nos vies en les perdant pour ceux que nous aimons, pour ceux que nous croisons. Nous nous enrichissons en nous sacrifiant pour partager avec ceux qui sont dans le besoin. Voilà le grand enseignement humain de Jésus : un amour sans mesure pour tous. Dans cette perspective, il nous faut aussi nous rappeler les paroles que Jésus prononce sur la croix, justement dans la version de Luc que nous lisons aujourd’hui, quand il affirme : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » Peut-on imaginer un amour plus grand que celui-ci ? Mourant sur la croix, Jésus ne pense pas à son propre salut, mais à celui de ses bourreaux. Jésus meurt seul sur la croix, mais pleinement conscient de ses choix. Il meurt librement par amour : il a choisi d’aimer jusqu’au bout.

« En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

Jésus meurt entre deux larrons : la mort de l’infamie, confirmant tout son parcours, où il n’a jamais cherché à être quelqu’un, à rechercher la gloire des hommes, mais a toujours été attentif aux plus faibles. Ceux qui décident de consacrer leur vie aux pauvres n’ont pas le temps de penser à leur carrière. Même sur la croix, Jésus reste attentif à ceux qui l’entourent, il les écoute, et même dans ce contexte, il ressort que suivre n’est pas une question de participation massive, mais un choix personnel.

Jésus est le roi de l’univers parce que, par son choix de l’amour authentique, en rejetant la gloire des hommes, il entre dans les veines de l’histoire avec son Esprit d’amour que tous nous pouvons accueillir.

 

lundi 10 novembre 2025

Le Pardon : prophétie d’espérance et de transformation

 




Paolo Cugini

 

« Tu lui pardonneras » (Lc 17,5).

 Telles sont les paroles étranges de Jésus, des déclarations qui provoquaient l’étonnement de ses auditeurs. Des paroles qui secouent, qui renversent la logique commune, qui semblent presque folles aux yeux de ceux qui sont habitués au calcul et à la justice du mérite. Pourtant, c’est précisément dans cette folie que réside la sagesse de Dieu. Le pardon, pour Jésus, n’est pas une simple recommandation mais un impératif absolu : il faut toujours pardonner, sans mesure, sans calcul opportuniste.

Pourquoi le pardon est-il si important pour Jésus ? Cette demande n’est-elle pas en net contraste avec la logique du monde, qui récompense ceux qui travaillent et punit ceux qui se soustraient à leur devoir ? Jésus renverse la perspective : son regard ne s’arrête ni aux apparences ni aux jugements humains. Là où la société voit des paresseux, des cas perdus, des cœurs endurcis et incapables de changer, Jésus aperçoit encore une lueur de vie, une fissure de lumière dans la nuit la plus noire.

Pourquoi faut-il pardonner même face à l’évidence d’un échec définitif ? Peut-être précisément pour cela : parce qu’aux yeux de Jésus rien ni personne n’est perdu pour toujours. Une porte, même à peine entrouverte, peut toujours être franchie. Un cœur, même le plus obstiné, peut être touché à nouveau par la grâce. Dans le pardon réside une confiance extrême en une possibilité qui dépasse tout jugement, toute statistique, toute histoire personnelle marquée par le mal. Dans l’invitation à pardonner toujours, se dévoile l’extrême confiance que Jésus place en l’humanité. « Là où le péché abonde, la grâce surabonde », disait saint Paul. Là où nous avons déjà prononcé un verdict sans appel, Jésus entrevoit encore l’image et la ressemblance de Dieu. Là où pour nous il n’y a qu’un cœur éteint, endurci, incurable, Il voit une étincelle capable de se rallumer.

Le pardon est donc le chemin de l’espérance, la voie qui rouvre des horizons de vie même là où tout semble mort. Voici le sens profond de l’Église : être une communauté qui offre au perdu la possibilité de se retrouver, de recommencer, de faire à nouveau l’expérience de la miséricorde. Sans pardon, l’Église perd son propre cœur, elle se transforme en tribunal, en lieu d’exclusion plutôt que d’accueil.

S’en remettre au pardon et non aux logiques humaines, c’est ouvrir la porte au Mystère révélé dans le Christ, permettre à son Esprit de pénétrer dans les replis les plus sombres de l’humanité pour la transfigurer de l’intérieur. C’est la vie qui souffle là où régnait la mort, l’amour qui refleurit là où la haine et la rancœur ont ravagé le terrain du cœur. Dans cette perspective, le pardon n’est pas faiblesse, mais force créatrice, prophétie d’une humanité toujours recommencée. Pardonner toujours n’est ni facile ni spontané, cela va à l’encontre de la logique de réciprocité sur laquelle repose le monde. Pourtant, c’est justement là que brille la nouveauté de l’Évangile : donner une chance à chacun, toujours, sans jamais se lasser. Jésus, prophète du possible, nous enseigne que tant qu’il y a du pardon, il y a une nouvelle vie.

 

Vers une théologie liquide

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